Face à la vague digitale qui déferle sur eux, le constat des intervenants sociaux est sans appel : « le numérique, on le traite comme on peut et quand on peut, mais il devient impossible de l’ignorer car il vient percuter l’ensemble des sujets ». Parce que le numérique touche la recherche d’emploi, les démarches administratives, l’accès aux droits ou le lien social, les travailleurs sociaux sont en première ligne face aux difficultés rencontrées par des millions de précaires.

Sont-ils préparés ? Comment appréhendent-ils cette nouvelle problématique ? Quelles réponses apportent-ils à leurs usagers ? Tels sont les sujets qu’Emmaüs Connect a voulu approfondir afin de mieux comprendre cet enjeu. L’association a mené en 2015 une étude auprès de ses partenaires de l’action sociale et des associations du mouvement Emmaüs afin de dessiner un premier tableau des conséquences de la dématérialisation auprès des publics les plus précaires.

Cette enquête a été réalisée par Yves-Marie Davenel, Docteur en anthropologie, de février à mai 2015, auprès d’une centaine d’intervenants sociaux dans plusieurs métropoles et en milieu rural. Ces entretiens qualitatifs et focus groupes ont été complétés par une enquête statistique auprès de 500 professionnels de terrain et cadres de l’action sociale. Nous tenons à remercier toutes les personnes qui y ont pris part.

L’ensemble des résultats seront publiés en janvier 2016, dans le prochain numéro des Cahiers Connexions Solidaires. Si la grande majorité des intervenants sociaux interrogés considère que les services numériques viennent utilement compléter leur boîte à outils professionnelle, leur perception du web se fait au prisme des difficultés rencontrées par les usagers les plus éloignés du numérique.

L’enquête pose notamment les sujets de la détection de cette problématique numérique, de la formation des intervenants sur ce sujet, de leur connaissance des solutions et des acteurs vers qui orienter leurs usagers ou encore de la déontologie.Cette étude riche en données statistiques et en témoignages ouvrira le débat sur l’évolution du métier et de la place du numérique dans une nouvelle forme d’accompagnement social.

 

Témoignage : Sonia, Conseillère en économie sociale et familiale dans un Service Social Départemental Polyvalent

« La crainte des travailleurs sociaux, comme moi, c’est de ne pas réussir à accompagner ce bouleversement. »

Nous avons rencontré Sonia à l’occasion d’une formation d’Emmaüs Connect pour les professionnels de l’action sociale qui souhaitent mieux identifier les problématiques d’exclusion numérique et savoir orienter leurs usagers.

Pourquoi participer à cette formation ?

L’exclusion numérique touche les personnes les plus fragiles : les personnes vulnérables, âgées, handicapées, illettrées ou en grande précarité qui n’ont pas d’accès à Internet et qui ne sont pas ne capacité de s’en servir. C’est une forme d’exclusion très pénalisante. En effet, ces personnes manquent déjà d’autonomie dans leur quotidien et ne pas avoir de savoir-faire numérique les handicape encore plus. Elles sont ainsi freinées sur l’ensemble de leurs besoins sociaux : dans leur insertion professionnelle, dans leur recherche de logement et dans l’accès à leurs droits sociaux. Le risque le plus criant c’est que ces personnes n’aient pas recours à leurs droits parce qu’elles ne maîtrisent pas l’outil numérique.

Face à ça, la crainte des travailleurs sociaux, comme moi, c’est de ne pas réussir à accompagner ce bouleversement. De nombreuses institutions ont ouvert les inscriptions en ligne et demain, le suivi ne se fera plus que par Internet. Aujourd’hui, nous faisons de notre mieux mais nous n’avons pas forcément le temps d’accompagner les personnes sur leurs démarches en ligne.

Cela pose de nombreuses questions : comment inclure l’accompagnement numérique dans l’accompagnement social ? Où commence et où s’arrête ma mission ? Les personnes qui n’ont pas accès au numérique sont, demain, les grands exclus de notre société.

Que retenez-vous de cette journée de formation ?

Je retiens que nous ne sommes pas seuls. Il existe des relais, des structures vers qui orienter nos usagers victimes d’exclusion numérique. Heureusement, nous pouvons compter sur de nombreuses associations dont le métier est de les former ou de leur donner un accès ponctuel à du matériel informatique. Le tout : c’est de les connaître.